L’humaine sottise veut que toujours, l’on se dépasse en tout. Dans le sport, bien sûr, et c’est un crève-cœur que de voir ces grands corps mécaniques s’affrontant dans des combats sans cause et des joutes sans but. Dans la bande dessinée aussi, et c’est pire, car alors, la performance — c’est-à-dire ce qui se mesure, se compte, se calcule et se résume en un nombre anonyme et brut —, la performance, donc, mime l’art et le singe, remplaçant le beau et le sublime par l’énorme et le démesuré.
Le festival Lyon BD donnait, l’année dernière, un aperçu édifiant de sa vacuité, en lançant un défi aussi vain pour la postérité qu’humiliant pour ses participants : faire la plus longue BD du monde. Sur le site de l’événement, l’on peut lire avec consternation que « Lyon a la plus grande ! C’est officiel ! En 2011, à l’occasion de la sixième édition du festival, Lyon BD a réussi le pari de présenter sur les Berges du Rhône le plus long comic-strip du monde : un kilomètre de long ! » La prétention n’a donc pas de limites ? Pendant des heures, des jours sans doute, des tâcherons bénévoles et de pauvres étudiants saignés par le prix de leur exorbitante école ont usé leur dignité en tombant des pages et des pages d’un scénario dont, sûrement, il ne connaissaient ni le début ni la fin.
Les œuvres communes donnaient, hier, des cathédrales. Aujourd’hui, elles livrent un kilomètre de pénis symbolique, un interminable godiveau bande-mou inséminant le vide de sa tête aveugle de vers plat, immense ténia débile lové dans le ventre flasque d’un festival dégénéré.
L’on a les ambitions qu’on mérite. Celle du festival Lyon BD a été, l’an passé, de gagner sa place au Guinness Book des records. L’exploit figurera entre le plus gros — 300 kg — kebbab du monde et le plus grand nombre de pailles — 400 — tenant dans une seule bouche. Vanité des vanités, nous dit l’Ecclésiaste, tout n’est que vanité...
Que nous réserve la prochaine édition ? Le plus grand pot à crayons du monde ? Un château de cartes géant réalisé avec les invendus de l’Association ? Recouvrir la basilique de Fourvière où siège notre chère maman des cieux avec des milliers de post-it à l’effigie de ce petit renard plein de vermine qu’est Pénélope Bagieu ? Il y a du challenge dans l’air nauséabond.
Nous suggérons un défi des plus ambitieux et ô combien difficile : celui de s’abstenir.
Frère des Ours