Il est un arbre toxique aux fruits puants, un arbre mimant le grand pommier du savoir divin et de la connaissance céleste, et qui n’en est que la blême ombre portée : Internet. C’est là que les auteurs qui n’ont pas encore gagné la confiance des éditeurs viennent fourbir leurs premières armes. C’est là que ceux qui l’ont entièrement gâchée reviennent lamentablement y échouer. Car toujours, un auteur tente par tous les moyens d’exister, quel que soit le support. Et s’il advenait qu’on propose aux plus désespérés de composer leurs BD sur du papier cul, certains signeraient sans l’ombre d’une hésitation.
C’est le cas de Florence Dupré la Tour. Depuis bientôt deux ans, son avatar Cigish — aurait-elle des problèmes d’élocution pour se choisir un pseudo si salivaire — assomme le pauvre internaute de ses non-aventures engluées de questions existentielles lambda organisées sous la forme d’un pseudo-jeu de rôle, où une vague fiche de personnage tient lieu d’excuse aux plus basses ignominies. Ce héros sans consistance, le visage grimaçant exaspéré de tics, n’est qu’une laborieuse variation sur le thème de la méchanceté, comme en son temps une bouteille de soda munie d’une tronçonneuse agressait des vacanciers en hurlant : PARCEQUEEEEE !!!!!
Si Cigish est méchant, Dupré la Tour est lâche. Ainsi se cache-t-elle derrière ce masque grotesque, se frottant les mains de son petit subterfuge, ricanant au coin de chacune de ses cases et agitant au nez de ceux qui pourraient s’en plaindre les caractéristiques de son personnage — un vil domestique du Mal — qu’elle serait obligée de jouer pour les besoins d’une œuvre. Pour les besoins d’une œuvre. Le seul besoin d’une œuvre est d’arriver à se débarrasser de l’encombrant artiste qu’elle a dû traverser — en passant par d’infectes orifices — pour parvenir jusqu’à nous.
Mais dans le cas de Cigish, peut-on parler véritablement d’œuvre ? Si à Meaculpa, nous avons tendance à fouetter le sang des consciences égarées, nous savons aussi reconnaître la grandeur là où elle se trouve. Avouons-le. Il y a, sur le blog de Cigish, une part grandiose et remarquable, une dimension sublime : ce sont les commentaires. Tout l’intérêt de cet espace virtuel réside dans la lecture édifiante de tant d’avis débilitants.
Est-ce suffisant pour sauver tout le reste ? Malheureusement non. Car l’orgueil du petit chancre grimaçant Cigish est à la mesure du trou béant qui lui sert de talent : sans limites et sans fond. Le domestique du Mal s’est trouvé une cour, des adeptes, il peut enfin briller en astiquant ses vides personnels devant ses admirateurs. L'exposition de ses soubresauts intérieurs entretient quelque rapport avec la pornographie, de sorte que Dupré la Tour aurait mieux fait de s'appeler Du Poil Autour, afin d'apporter de la cohérence à sa stratégie marketing.
Poussant la logique de son personnage jusqu’au bout, Du Poil Autour va jusqu’à nous imposer un dessin si malhabile et si laid qu’il semble n’être fait que pour se moquer du monde. La question essentielle que pose cette démarche n’est pas la quête inepte d’une personnalité inexistante, mais plutôt : s’il est entendu qu’un auteur peut stagner dans la flaque de boue qui lui tient lieu de miroir, peut-il à ce point régresser un stade aussi basique ?
Bien. Mal. Noir. Blanc. Gentil. Méchant. Haut. Bas. Dieu. Diable. Gauche. Droite. C’est sur le mode binaire que fonctionne ce récit microscopique. L’apprentissage de la vie est avant tout un apprentissage de la nuance. N’apprend-on pas, depuis la maternelle jusque dans des écoles d’art hors de prix menant à des métiers ingrats, à parfaire son coloriage ?
En ce domaine, Du Poil Autour semble n’avoir jamais utilisé que deux crayons. Elle oscille entre la gentillesse et la méchanceté, comme un métronome battant la mesure d’une laborieuse composition musicale. C’est là le signe d’une grande immaturité que d’utiliser de puissants contrastes pour masquer la faiblesse du contenu. Moi, méchant. Toi, gentil. Moi Tarzan. Toi, Jane. OOOoooolioliooooooliolioooOOOO
Lorsqu’on décide d’exister sur le web, se pose forcément la question des concurrents. Dans le cas de Du Poil Autour, ce sont les blogs girly. L’on fait aux blogs de filles un très mauvais procès. Les contenus en seraient niais et superficiels, peuplés de petites créatures sottes confrontées à d’épineux problèmes de talons. Ils le sont assurément. Il n’y a qu’à lire les commentaires donnés sur actuabd par la masse anonyme pour comprendre à quel point ces blogs sont haïs. Ils sont haïs… car ils ne font de mal à personne.
A l’inverse, le blog de Florence Du Poil Autour entend faire du mal à tout le monde, et c’est l’humain qui singe le diable qui n’est qu’une caricature de Dieu. Entre un blog girly sur les cup-cakes et celui de Cigish électrocuté de vaines gesticulations, si l’intention diffère, le résultat est identique : se faire détester par ses pairs. En ce sens, on peut dire que Du Poil Autour tient, elle aussi, un blog de fille. Ses efforts désespérés pour éviter d’entrer dans cette catégorie n’y font rien. S’enlaidir au point de ne plus ressembler à rien qu’à une petite momie de travelo ? Blog de fille. Opter pour du noir et blanc afin d’accréditer le contenu par le sérieux un peu chiant d’une bichromie qui se la pète ? Blog de fille. Se lancer éperdument dans cette aventure vouée d’avance à l’échec qu’est la quête de soi en intégrant des religiosités précieuses et des paranoïas imaginaires ? Blog de fille. Faire s’accoupler le réel et la fiction en mode bondage, comme l’ont fait depuis bientôt cent ans tous les adeptes du Nouveau Roman ? Blog de fille ! Blog de fille !
A tant vouloir s’extraire de ce modèle, Du Poil Autour ne fait rien que le mimer bêtement, en produisant une bien vilaine petite chose aboyante mais somme toute assez inoffensive, comme un roquet de mémère qui se prendrait pour Wolverine. Un bidet, pour les chutes du Niagara. Une Fiat Punto, pour une limousine Hummer. Un anonyme du web, pour un immense auteur.
On ne s’improvise pas méchant comme on s’improvise dessinateur. Du Poil Autour voudrait bien jouer le mal, mais rien d’atroce ni de vraiment cruel ne vient choquer le petit lecteur. Il n’y a que le récit d’une petitesse formant un insignifiant récit. Nous le proclamons : en choisissant le Mal, Cigish se trompe de camp. Notre expérience du démon rampant partout comme une peste noire nous fait dire : Cigish ! Petit joueur ! Que n’as-tu motivé chacune de tes actions par la poursuite du bonheur de tes semblables ? Que n’as-tu répandu autour de toi la gentillesse, le pardon, l’abnégation et le partage ? Que n’as-tu été bonne, charitable et humble ? Tu serais bien mieux parvenue à tes fins ! Car on sait de quoi sont faites les innombrables routes qui mènent droit aux enfers : elles sont pavées de bonnes intentions.